Magnetic shoes - Francis Alÿs - 1992
L'itinérance de l'art #2
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Continuons aujourd’hui notre traversée de l’art itinérant avec cette fois-ci un arrêt sur les «artistes marcheurs» qui ont fait de leurs déplacements un art. Au début des années 1950, l’International Lettriste, organisation d’intellectuels révolutionnaires voit le jour. Guy Debord est un des membres fondateurs de cette organisation, c’est un théoricien, poète et écrivain et il pratique avec certains de ses confrères la « dérive ».*
Il s’agit d’une forme d’errance en milieu urbain qui consiste à explorer la ville sans autre but que d’expérimenter de façon sensible ces lieux et de vivre les situations qui en découlent. Il s’agit d’un acte remettant en question l’urbanisme en place et les contraintes liées à celui-ci: ses cheminements tracés, prévus, sécurisés, rapide …
Guy Debord retranscrit alors ces expériences sensibles de façon topograhique en créant des cartes subjectives et définit en même temps le terme de psychogéographie qui:
se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les émotions et le comportement des individus. »(1)
A partir de là, la « dérive » est envisagée comme une façon de déambuler et d’être présent dans l’espace urbain et dans le territoire quotidien de ces habitants. Il s’agit de questionner les déplacements normés, habituels, et d’ouvrir le champ des possibles en se réappropriant ces espaces.
Durant les années 1960, la question du corps et de ses représentations ainsi que les débuts de la performance animent les réflexions et la production artistique. Influencés par les pratiques de l’International Situationniste, certains des artistes de cette période ont fait de leurs déplacements une pratique artistique à part entière. On les appelle les artistes de la « marche » ou artistes « marcheurs ». Leurs corps comme outil et leurs errances comme œuvre, c’est à travers des paysages urbains ou naturels que ces artistes nous ouvrent sur des modes de déplacements régis par des protocoles préalablement fixés. Certains d’entre eux produisent aussi des cartographies subjectives et sensibles de ces expériences, questionnant ainsi notre rapport à l’espace et au monde.
Richard Long, artiste célèbre ayant pratiqué la marche explique à propos de sa pratique :
J’utilise l’espace sans avoir besoin de le posséder. Mon travail est fait de mouvement et d’immobilités, d’endroits où marcher et d’autres où s’arrêter, je peux soit passer, soit laisser une marque. » (2)
Citons quelques autres artistes célèbres : Hamish Fulton, Laurent Tixador ou encore Francis Alÿs, ce dernier ayant par exemple expérimenté la « dérive » à La Havane avec Magnetic Shoes (3). Le principe était de se déplacer dans la ville, tel un badaud, mais avec des chaussures aimantées. Ainsi au fil de son trajet des objets métalliques venaient à s’agripper à ses chaussures. Sur ses semelles s’amassent alors ces rebuts, trop insignifiant pour être perceptible et auxquels le piéton ne prête pas attention. Au fil des jours et des quartiers explorés, la collecte varie et permet ainsi à l’artiste d’effectuer des comparaisons et de constater ainsi des variations d’un quartier à l’autre sur la simple observation de ces objets métalliques. Magnetic Shoes, comme la plupart des œuvres des artistes de cette mouvance, sert également à créer un lien et une interaction sociale avec : l’art déambule, intrigue certains passant curieux, il est à leur portée.(3)
L’art ici se mêle à la vie grâce au mouvement, hors d’une pratique d’atelier ou d’un lieu d’ exposition. Seule la photographie, l’écriture ou la vidéo, nous permettent aujourd’hui d’avoir des traces, dans des éditions et des expositions. Ainsi l’œuvre véritable n’est visible qu’à un instant, à un endroit, elle n’est pas dépendante d’un lieu. C’est l’élargissement du territoire de l’art contemporain grâce au mouvement.
* qui deviendra plus tard l’International Situationniste
(1) DEBORD, Guy, « Introduction à une critique de la géographie urbaine. In Debord, Guy. Introduction à une critique de la géographie urbaine », Les lèvres nues, o 6,
(2) Richard LONG catalogue de l’exposition « Heaven and Hearth », Tate Publishing 2009
(3) Vidéo Magnetic Shoes, 1992, La Havane https://www.youtube.com/watch? v=5Azap6lJezI
Magnetic shoes - Francis Alÿs - 1992