Entretien avec Nina Childress


Nous avons eu le plaisir de rencontrer Nina Childress à l’occasion de son exposition personnelle, Le hibou aussi trouve ses petits jolis, à Toulouse. Peintre depuis une trentaine d’années, ses sujets de prédilections, issus de la « pop culture » aussi bien que de la peinture classique, cohabitent de façon ludique là où le corps féminin et ses représentations restent un dénominateur commun. Nina fut une égérie punk avec Lucrate Milk dans les années 80 et pionnière du graffiti en France avec Les Frères Ripoulin.
 

Il faut imaginer que pour quelqu’un de ma génération, quand les magnétoscopes sont apparus et qu’on s’est dit : «Je peux posséder les images» … C’était magique !

  Dans votre exposition Le hibou aussi trouve ses petits jolis au musée Paul Dupuy de Toulouse, on ressent vraiment un plaisir, un jeu dans l’accrochage de vos toiles, vous habitez les lieux…

Il a fallut que je trouve des solutions parce qu’il y avait des cadres, des peintures que je n’ai pas pu avoir. Les dispositifs d’accrochages que j’utilise sont là pour parer à un problème, ce n’est pas une fin en soi. Dans l’idéal, on aimerait que le tableau se suffise à lui-même.
Ce dispositif ressemble finalement à ce qu’on peut faire avec des logiciels de retouches d’images, quand on a nos calques et qu’on les balade les uns au-dessus des autres.

  J’ai parfois l’impression que le générique d’Amour, Gloire et Beauté pourrait être en fond sonore de vos toiles.

(rires) Alors moi c’était plutôt Les feux de l’amour… J’ai beaucoup travaillé à partir de la télévision dans mes débuts, c’était quelque chose qui me fascinait. Il faut imaginer que pour quelqu’un de ma génération, quand les magnétoscopes sont apparus et qu’on s’est dit : « je peux posséder les images» … C’était magique ! Maintenant on a tout comme on veut, avant c’était la télévision avec la certitude le samedi à 20h30 d’avoir Dallas par exemple. Et j’avoue quelque chose que personne ne sait sauf mes proches, mais pendant 10/15 ans je travaillais le midi et je mettais Les Feux de l’Amour vers 14H, et donc je travaillais en écoutant Les Feux de l’Amour ! Je ne regardais pas mais je connaissais les voix par cœur. Et j’aimais beaucoup essayer de deviner les leçons de morales qu’allaient essayer de mettre les Américains sur tout ça. Il y avait d’ailleurs un personnage qui s’appelait Nina qui a vite disparu je crois…
Et esthétiquement j’avais fait des tableaux de Dallas ou Dynastie au début des années 80. Et je pense que si vous avez l’impression d’entendre ce générique en regardant mon travail, c’est plus au niveau de l’échelle des valeurs, entre le cinéma d’auteur et le pire trash télé.
 

Et si je peins des femmes torses nus, c’est par rapport aux films que je trouve, sur lesquels je me base pour peindre. C’est-à-dire des films d’exploitations des années 60-70…

  « Free the nipple » est un mouvement féministe qui milite pour que les femmes soient libres de porter ou non des soutiens gorges. Les femmes que vous peignez sont très souvent sans …

(rires) Ah ça oui… Personnellement je n’ai vraiment pas beaucoup de poitrine voir pas du tout donc la question ne s’est pas trop posée. Les seules fois c’est sur des plages dans des pays vraiment rétrogrades autrement c’est l’émeute, et c’est quelque chose qui me choque énormément. Je pense que les femmes devraient aussi avoir le droit de se trimballer torse nue dans la rue.
Et si je peins des femmes torses nues, c’est par rapport aux films que je trouve, sur lesquels je me base pour peindre. C’est-à-dire des films d’exploitations des années 60-70 où on met toujours les femmes nues, on montre leurs nichons … Et puis c’est rigolo à peindre. C’est militant au niveau personnel mais pas dans ma peinture. Si ça fait progresser cette cause là tant mieux mais je ne pense pas …

  Votre travail est emprunt de corps et de décors...

(rires) Ah oui c’est drôle, je n’y avais pas pensé ! Au début j’ai fait des décors parce que je n’arrivais pas à peindre des corps, j’ai vraiment une bataille avec la peinture du corps.
J’ai fais des bonshommes dans les années 80 comme tout le monde, et quand j’ai découvert l’art conceptuel je me suis dit c’est pas possible… Donc j’ai fais des choses très froides, des objets, des numéros, des lignes … des choses sans corps en clair.
Et puis ensuite quand j’ai eu mes enfants, ça a un peu chamboulé tout ça. J’avais des petits joujoux qui représentaient des bonhommes, je me suis mise à repeindre des corps alors que pourtant c’était des objets, et des jouets de surcroît. Le corps était là en indice, par morceaux. Mais vraiment j’ai eu du mal, il y a une période où je faisais des intérieurs, donc des décors, c’était surtout pour qu’il n’y ait pas de corps, on pouvait projeter des corps dans ces décors, c’était ça l’idée, qu’on puisse se projeter dedans. Et curieusement c’est en faisant la série de toiles sur les nudistes, le rapport du corps nu à la nature. Au départ je me suis dit que ça allait être marrant de peindre ça, et après avoir peint cette série je n’ai plus de complexes avec les corps en peinture.

  Pour finir, quelle est pour vous la meilleure façon de profiter d’une toile ?

Il y a des œuvres qu’on adore qu’on ne pourra jamais avoir… La meilleure façon d’en profiter c’est de la voir le plus souvent possible. Effectivement si c’est une œuvre qu’on a chez soi, on la voit souvent ou même chez sa grand-mère : il y a un tableau au dessus du buffet, on le voit souvent, et même si c’est une abominable croûte, on va en profiter comme vous dites, on va vivre quelque chose avec. Après quand c’est soi-même qui les avons peintes, là ça devient différent. Parce que quand on regarde un tableau qu’on a fait soi, on est en train de le faire et on est dans des problèmes. On a du mal a oublier si on a eu une difficulté avec un zone précise, il y a moins de magie. Et puis des fois on déballe un tableau d’il y a 20 ans et on oublie la difficulté, on se dit que c’était pas si mal. Mais de toute façon la meilleure façon d’en profiter ce serait un tableau dans un musée, qu’on peut revoir autant qu’on veut ou quand on a le catalogue d’un artiste qu’on aime beaucoup et qu’après on découvre l’œuvre en vraie, ça c’est toujours un bon moment. Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut une expérience en vraie et de la répétition. Il y a des collectionneurs qui ont beaucoup d’œuvres, je me demande comment ils font pour les aimer toutes, comment ils ont le temps. Personnellement dans mon atelier, j’ai un mur avec ma collection, c’est des œuvres que j’ai échangé ou que des amis m’ont donné, je me fais mon petit accrochage.  

peindreetachetervuedexpositionparvistarbes2016.jpg

Vue d'exposition, Peindre et acheter, Nina Childress, Le Parvis, Tarbes, 2016